Compte-rendu du
chantier Philoart - UNESCO - Jeudi 15 novembre 2012 après-midi-
1) Intervention de
Farida Zekkari et Camille Formenti pour l'association Philosophart.
Farida Zekkari, chargée
de projets et metteur en scène, et Camille Formenti, philosophe,
nous ont projeté un document vidéo présentant l'association
Philosophart de Lyon :
La démarche novatrice
de Philosophart, nous explique Héléna Hugot, la directrice générale
et fondatrice de Philosophart, est d'associer ateliers philo pour les
enfants et ateliers de pratique artistiques au sein d'une même
séance, afin, précise-t-elle, de matérialiser les idées qui sont
nées dans la discussion philosophique au moyen d'arts plastiques, de
danse ou d'expression théâtrale.
La vocation de cette
association est internationale puisqu'elle a mené aussi bien des
actions au Vietnam, qu'en Haïti, ou sur l'agglomération lyonnaise.
La vidéo nous présente
différents extraits d'ateliers de discussion philosophique menées
dans des classes maternelles ou élémentaires et l'on voit notamment
que les animateurs, qui sont toujours, nous précise-t-on, des
professionnels formés (minimum Master 2 de philosophie) utilisent
quelques outils bien connus des Nouvelles Pratiques Philosophiques
dont le bâton de parole mais sans pour autant pouvoir déterminer le
degré de guidance exact de l'animateur. On suppose, au vu des
différents extraits de pratiques présentés par la vidéo, que
celui-ci n'est pas forcément uniformisé au sein de l'association et
dépend du vécu et de l'expérience de chaque animateur. Chaque
atelier de discussion philosophique est suivi d'un atelier de
pratique artistique qui reprend bien entendu le thème abordé pour
l'approfondir, le matérialiser, le fixer... Cette pratique
artistique est le plus souvent d'ordre plastique ou théâtrale et
elle est animée par un animateur différent, qui est un
professionnel reconnu soit en art dramatique, soit en arts
plastiques. Comme les séances durent en moyenne de une heure trente
à deux heures, l'atelier philo dure généralement de trois quarts
d'heure à une heure et l'atelier artistique également.
Les enseignants des
classes concernées, dans lesquelles est intervenue l'association,
nous livrent leur ressenti et se disent très satisfaits de cette
démarche qui mêle philo et art pour aider les enfants à développer
leur réflexion sur le monde qui les entoure. Ils jugent que ce
travail mené régulièrement a permis de les faire notablement
évoluer sur le plan du langage, de la mise en mots de leur pensée,
et sur l'acquisition des codes et des règles de la discussion. Ils
insistent aussi beaucoup sur l’aspect bénéfique dans le groupe
pour apprendre à respecter la parole de l'autre, ainsi que sur le
rôle facilitateur de ces ateliers sur les enfants les plus inhibés,
sur ceux qui ne s'autorisent que très difficilement à prendre la
parole dans le groupe. Ils notent l'engouement fort des enfants pour
cette activité et même qu'il arrive souvent que les parents soient
associés lorsque le thème du débat est rapporté à la maison et
se continue au domicile de l'enfant.
Jacques Pascal Bryf,
conseiller pédagogique et ancien responsable des formations
internationales à l'IUFM de Lyon, souligne que la première chose
que l'enfant apprend dans ces ateliers, c'est qu'il a l'autorisation
de parler, et qu'il apprend à être sérieux dans ce qu'il dit,
qu'il comprend que la parole peut être très sérieuse, autre chose
qu'un objet de divertissement.
Le film se termine par
des témoignages de parents d'élèves et l'un d'entre eux relève
l'importance du questionnement sur pourquoi ou comment on fait les
choses, dans un monde où les réponses scientifiques qui s'imposent
sont souvent les plus prégnantes.
La discussion avec la
salle qui a suivi la projection a surtout permis de clarifier
certains points présentés dans la vidéo.
2) Intervention de
Marie Levavasseur pour la Compagnie Tourneboulé
Marie Levavasseur est
comédienne, metteur en scène et directrice artistique de la
Compagnie Tourneboulé. Cette compagnie théâtrale qui est
identifiée « Jeune Public » a également la volonté de
s'adresser aux adultes accompagnants et de proposer des spectacles
qui se situent à plusieurs niveaux de lecture.
C'est à l'occasion de
l'écriture de sa dernière création, «
Comment moi je »
qu'elle s'est particulièrement intéressée à la philosophie pour
enfants...
Elle nous raconte elle-même le point de départ de
cette aventure :
La
première fois que je me suis intéressée à cette question de la
philosophie pour enfants, c’est avec cette nouvelle création,
parce que j’ai pris la philosophie comme point de départ pour
écrire ce nouveau spectacle. Même si la naissance d’un spectacle
est toujours une rencontre de plusieurs désirs, une alchimie étrange
entre plusieurs facteurs, il y a eu très certainement
l’envie de vouloir faire un spectacle qui s’adresse à de plus
jeunes spectateurs, à partir de la maternelle, même si la question
de l’adresse est un point complexe. Il est impossible de ne pas
prendre en compte la spécificité de la personne à qui on
s’adresse. Si je suis artiste, c’est d’abord parce que j’ai
envie de dire des choses. Il se pose ensuite la question de comment
j’ai envie de le dire, et de manière indissociable à qui j’ai
envie de le dire.
Je crois que si
j’ai mis dix ans avant de faire un spectacle pour des plus petits,
c’est que je voulais un propos fort. Souvent les spectacles que
j’ai vu font souvent appel aux sensations : l’ouïe, le
toucher, les éléments naturels. On reste sur le domaine du
sensoriel. J’avais au contraire envie de m’adresser à
l’intellect des jeunes enfants. J’avais envie d’une question
forte et c’est ce qui m’a emmenée sur le chemin de la
philosophie.
Mais comment
écrire un spectacle qui donne envie de réfléchir, de poser des
questions, d'interroger la place de la philosophie dans notre
société, et notre manière d’appréhender cette discipline ?
Tous les
échanges, le travail mené depuis dix ans auprès de ce public m’ont
aussi considérablement nourrie. Que ce soit avant, pendant, ou après
la création, on a cette chance, dans le jeune public, d’être très
sollicité pour des rencontres, des ateliers, des échanges en dehors
du cadre de la représentation. Tous ces moments de partage avec des
enfants ont nourri notre travail, nous ont placés dans une relation
d’échange, qui nous a naturellement conduits à nous interroger
sur notre rapport à l’enfance et notre manière de le considérer,
savoir à quel enfant on s’adresse... J'ai la conviction que
l’enfant est un être sensible, avec ses propres émotions, sa
volonté, capable de réfléchir, avec le désir d’être agent de
sa propre vie et je me retrouve complètement dans cette démarche de
la philosophie pour enfants.
D'autre part,
les questionnements philosophiques ont toujours nourri le travail de
la création de la compagnie : à chaque point de départ de nos
spectacles, il y a toujours eu une question philosophique comme la
peur et la difficulté d’aimer dans notre première création, la
mort, le deuil, l’abandon, dans la seconde, être un garçon ou une
fille dans la troisième... Ce nouveau spectacle s’inscrit dans la
continuité des précédents.
Marie
Levavasseur, comment avez-vous travaillé pour créer ce nouveau
spectacle, “Comment moi je” ?
Au
préalable, on a procédé à
des temps de recherche en plateau où on a improvisé
autour de thèmes philosophiques, du personnage du philosophe,
toujours en cherchant un point d’ancrage très concret et en
reliant les impros à notre univers proche de l’objet. Il y a eu
également des temps de labo d’écriture, où je me suis nourrie de
pas mal de lectures. Le film “Ce n’est qu’un début” m’a
beaucoup inspiré également. J’ai relu un peu de bouquins de philo
mais très vite j’ai eu peur de me perdre, n’étant pas
philosophe et n'ayant aucune envie de repasser mon bac !
Enfin,
des temps de labos avec le public (interview dans les écoles,
répétitions publiques) m'ont permis de tester les images qui
fonctionnaient et le niveau de compréhension des enfants.
Rapidement
je me suis demandée comment aborder cette question de la philosophie
: qu’est ce que cela signifiait de parler de philosophie à des
petits ?Comment aborder des thèmes philos avec ce public ?
Marie
Levavasseur, quelles ont été vos principales difficultés ?
J’avais
plusieurs peurs, dont, en particpulier, celle de faire un spectacle
pédagogique, mais aussi la peur de faire de la philosophie de
comptoir parce que je ne suis pas philosophe et ne maitrise pas ses
concepts, ou bien encore la peur des adultes, toujours très inquiets
que les enfants ne comprennent pas tout, et enfin la peur du
formatage scolaire : on a le droit de lever le doigt seulement quand
on connaît la bonne réponse. La prise de parole est une initiative
compliquée, autant parfois pour les enfants que pour les
enseignants.
Je
me suis affranchie de cette angoisse en me disant que la philosophie
pouvait être quelque chose de très simple. Etait-ce la philosophie
en tant que somme de connaissances qui importait ou l’acte même de
philosopher ? Avais-je envie d’aborder la philosophie au sens
ancien de recherche d’un savoir complet ou au sens actuel de
réflexion critique qui permet d’apprendre à réfléchir, à
penser par soi-même ?
De
quelles aides avez-vous bénéficié ?
Jean-Charles
Pettier
m’a aidée sur la construction de l’écriture. Par exemple, j’ai
écrit une scène abordant le thème de la mort suite à ses retours.
Il m’a également beaucoup apporté sur le niveau de compréhension
des enfants en me faisant des remarques précises sur le choix des
mots. C’est lui aussi qui m’a aidée ensuite à construire
l’accompagnement pédagogique autour du spectacle. J’avais envie
que ce spectacle soit un point de départ, une invitation à entrer
en philosophie et il me semblait fondamental de pouvoir donner des
éléments aux enseignants et aux parents pour l'organisation de
goûters philo après les représentations, la création de valises
pédagogiques à exploiter en classe (adaptées en fonction des
différentes tranches d’âge), et enfin la création d’une
exposition attenante aux spectacles (en cours de réalisation). Sa
présence était pour moi importante car même si on ne se situe pas
aux mêmes endroits
et si son regard est plus proche de celui du pédagogue, il me donne
une légitimité et une liberté plus grande dans l’écriture.
Marie
Levavasseur, quelle histoire raconte votre spectacle ?
Comme
je voulais travailler sur la question « Qui suis-je ? »,
j’ai choisi un personnage « en devenir », qui n’a pas
encore d’identité. Il ne sait pas qui il est, car il n’a pas de
prénom. Il n’a pas de papa, pas de maman et ne doit
compter que sur lui-même pour apprendre à grandir. Pied
de nez à la philosophie, Bric à brac, personnage principal de
l’histoire ne se pose pas de questions métaphysiques (ou
presque !). Elle répond à chaque fois aux situations qui lui
sont proposées de manière très pragmatique. C’est à travers les
expériences qu’elle traverse que se posent les questions
philosophiques : l’autre, la mort, l’amitié, le fini et
l’infini, la filiation, la peur… avec, à chaque fois, en fil
rouge, la question « qu’est-ce que grandir ? »
Le
thème de l’abandon est évidemment central mais il n’est pas
abordé frontalement, et jamais de manière psychologique. Il est
évoqué de manière très suggestive et poétique. C’est davantage
le sentiment d’abandon et le fait de savoir comment il résonne en
chacun de nous qui m’intéressait, parce qu’il est aussi
fondamental dans les étapes de notre construction.
L’autre
personnage central de l’histoire est le personnage de Jean-Pierre,
philosophe par nature et de profession. Est-ce un hasard ? C’est la
première rencontre que fera Bric à brac, une rencontre décalée et
inattendue qui sera déterminante dans son parcours. Jean-Pierre,
personnage drôle et attachant (et qui adore les questions) se
prendra au jeu et tentera d’apporter des réponses aux questions de
la petite fille. Jamais dans l’affect, il garde toujours de la
distance et renvoie souvent la petite fille face à ses propres
interrogations. Il lui apprend à réfléchir, à trouver ses
propres réponses. Il sera lui aussi bousculé par cette rencontre et
finira par accepter de devenir marraine de l’enfant... (Oui, j'ai
bien dit marraine !)
Quelques
thèmes traversent la pièce, comme l'amitié, qui est la prise de
conscience de l’autre, du partage. Peut-on vivre sans les autres ?
Est-ce que l’autre est un autre moi ? A l’âge de la
sociabilisation et des premiers liens d’amitiés, c’est une
expérience forte dans le parcours de Bric à brac. Le thème de la
mort, également, est important car il est fondamental dans la
construction de la pensée de l’enfant de quatre ans. La prise de
conscience du “Je” à cet âge là est simultanée à la prise de
conscience de la mort. A partir du moment où je réalise que je peux
mourir, je prends conscience de mon existence, et inversement. Enfin,
la peur est présente dans tous les contes initiatiques :
l’expérience de la peur est fondatrice dans la construction de
l’identité. Comment réussir à dépasser ses peurs ? A quoi
sert la peur ? Est-ce que c’est normal d’avoir peur ?
On sait combien le loup est un personnage emblématique chez les
enfants !
Et
au niveau de la mise en scène ?
La
scénographie peut aussi être présentée comme une métaphore de la
philosophie. Dorothée Ruge a imaginé avec moi un univers
très poétique et symbolique du parcours de Bric-à-Brac. Un espace
en construction, en devenir, comme cette petite fille qui arrive au
monde et qui n’est pas encore tout à fait finie. Au centre du
plateau, il y a cet arbre bobine, arbre qui évoque aussi l’arbre à
palabres ou les colonnes de la Grèce antique, comme cette espace que
nous avons imaginé en référence à l’agora. Il est le point
central de l’histoire et c’est aussi le lieu refuge du
philosophe. C’est aussi de là que se tireront tous les fils de
l’histoire. Fils de laine, fils de dentelles cousues, fils à
retordre, comme ces fils de la pensée qui nous façonnent. C’est
de là que Rémy le musicien tire les fils de son tricot qui lui sert
à construire ce grand cocon qui abrite l’espace de jeu et les
gradins. Un enfant à qui nous avions demandé ce qu’il avait
compris du mot philosophie, nous avait répondu : « Philosopher,
ça veut dire tricoter !»C’est exactement ça, philosopher,
c’est tricoter avec des idées ou des concepts dans sa tête !
Dans
le spectacle, j'ai voulu également faire référence
à des grands contes du répertoire qui abordent aussi de
vastes questions philosophiques. J’avais envie sous forme de clin
d’œil et de manière décalée de renvoyer à toute la dimension
très complexe et riche de l’interprétation de ces contes.
Et
que diriez-vous en forme de conclusion, Marie Levavasseur ?
Même
si la philosophie était un point de départ, qu’il y avait l’envie
de considérer l’enfant comme une personne capable de réfléchir
par elle-même, j’espère toujours quand je crée un spectacle
qu’il résonne au-delà de ce que j’avais imaginé au
départ. D’où l’importance de l’émotion, de l’humour, des
images… Cet exercice d’analyse reste difficile pour moi car même
si la dramaturgie était un espace de recherche important, je
fonctionne de manière très intuitive. Je réalise que chaque
spectacle est une porte d’entrée vers le suivant. Je sais déjà
que tout ce processus de création – processus « d’accouchement »-
m’aura aussi aidée à avancer dans mon parcours personnel et m’a
aidée à porter un nouveau regard sur cette discipline que
j’associais de manière trop restrictive à l’année de ma
terminale et comme « matière du baccalauréat. »
J’aurais certainement aimé, quand j'étais enfant, qu’on
m’invite sur le chemin de la philosophie...